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Catéchèse du projet Son et Lumière

Dans le cadre du projet "Son et Lumière" sur le thème de:"La liberté de conscience de Martin Luther à Martin Luther King", nous vous proposons ici une série de modules de Catéchèse qui sont désormais rangés dans des pages répertoriées sur la colonne d'accès de droite.
Seul le dernier module édité sera affiché dans les articles, sur la page centrale...


ATTENTION: Les rubriques consacrées au contexte historique sont désormais disponibles à l'écoute sur le site de Radio Grille Ouverte.

En effet, pour la célébration des 500 ans du Protestantisme, une série d'émissions a été conçue à partir de ces textes, enregistrés en version audio, elles sont intitulées : "95 thèses, 95 émissions". Pour les trouver, rendez-vous à l'adresse suivante : http://www.protestants2017.org/1517-95-theses-2017-95-emissions-de-radio/

Bon travail à tous!

Module 1: La concience s'affirme _ Martin Luther à la Diète de Worms _ Fiche théologique


Quand il est question de réformer l’Eglise…

  Texte audio

6 mars 1521. Le professeur de théologie Martin Luther est convoqué par l’Empereur Charles Quint devant tous les représentants du Saint Empire Romain Germanique. Cette confrontation, Luther l’espère et l’attend avec impatience. Enfin voilà l’opportunité de s’expliquer et de convaincre ce tout jeune Empereur de 21 ans et avec lui tous les Princes Allemands ! Il veut saisir sa chance.
De son côté, Charles Quint n’a pas du tout l’intention de laisser une tribune libre au petit moine arrogant. N’a-t-il pas provoqué l’ébullition dans tout l’Empire avec ses 95 thèses placardées sur la porte de l’Eglise de Wittenberg en octobre 1517 ? Il réclame la Réformation de la Sainte Eglise contre le marchandage du salut, le commerce des indulgences et les abus du clergé ? Soit ! Tout le monde souhaite cette réforme, même et surtout lui, l’Empereur. Mais il n’est pas question de rejeter l’autorité de l’Eglise sur le salut des âmes ! Rendez-vous compte de ce qu’il ose écrire : « Le chrétien est l’homme le plus libre; maître de toutes choses il n’est assujetti à personne. L’homme chrétien est en toutes choses le plus serviable des serviteurs; il est assujetti à tous. » Libre?! Où irions-nous si tout le monde se prenait pour le Pape dès qu’il a une Bible dans les mains ? Pour qui se prend-il celui-là ? Vous l’avez vu brûler en public la Bulle du Pape Léon X qui, dans sa grande miséricorde, lui donnait l’ultime occasion de se rétracter ? Il a déjà eu sa chance. Qu’il soit excommunié ! Hérétique !
Mais Charles Quint n’a pas le choix : les règles de l’Empire exigent que la mise au ban de l’Eglise soit confirmée par les Princes. Alors soit ! Convoquez-le ce petit moinillon. Et l’affaire sera entendue… Le calme reviendra et on pourra enfin arrêter ces Turcs mahométans qui menacent la Chrétienté.
Enfin ! écrit Luther : « Jusqu’à présent dans cette affaire, on s’est contenté de jouer, maintenant les choses deviennent sérieuses. Manifestement les choses sont désormais dans la main de Dieu… »
Son arrivée à Worms le 16 avril est saluée par la foule enthousiaste qui scande son nom « Luther ! Luther ! ». Porté par l’espoir de tout un peuple de petites gens, protégé par son Prince Frédéric de Saxe, Luther veut en découdre : « Par la Parole seule, le monde a été vaincu, l’Eglise a été conservée ; c’est aussi par la Parole qu’elle sera rendue forte. L’Antéchrist sera écrasé par la Parole sans qu’une seule main ne soit levée. »
Mais Johannes Van der Ecken, juge en charge des questions juridiques de l’Eglise, passe à l’attaque sans ménagement :
- Frère Martin, tu as été cité à comparaître devant l’Empire pour recevoir de toi des renseignements à propos des doctrines et des livres qui ont été rendus publics par toi depuis un certain temps. Désignant les livres sur la table, l’air accusateur : Appel à la Noblesse de la nation allemande… Des bonnes œuvres… De la liberté du Chrétien… Prélude sur la Captivité Babylonienne de l’Eglise… Es-tu bien l’auteur de ces ouvrages condamnés par la Sainte Eglise ?
Luther, déstabilisé par l’attaque brutale, visiblement impressionné, bafouille, hésite, semble perdre ses moyens, parle tout bas, demande un délai pour réfléchir encore… Murmure dans la foule. L’affaire est-elle déjà perdue ? Il demande un délai ? Soit ! Il aura 24 heures.
Dès le lendemain, Van der Ecken pense pouvoir achever facilement l’adversaire. Il se fait de plus en plus inquisiteur :
- Est-ce bien toi le responsable de la diffusion de ces doctrines hérétiques ? Avoue donc frère Martin ! Puis s’adressant à la foule, visiblement moqueur : Voilà donc le « grand » professeur de théologie, Martin Luder qui se fait appeler Luther « l’Affranchi » ? Est-ce là tout ce que tu as à dire ?
Luther se redresse, visiblement transformé, porté. Sans morgue, la voix est posée, claire et sans agressivité :
- Monseigneur, veuille pardonner la faiblesse dans ma manière de m’exprimer. Je n’ai pas été élevé dans des cours princières, mais j’ai grandi et j’ai été formé dans des recoins monastiques… Il n’empêche que, à la condition qu’aucun mot n’ait été modifié dans ces livres que voici, j’en suis bien l’auteur.

- A la bonne heure, il avoue ! Vas-tu donc te rétracter maintenant ?
- Je suis prêt à me laisser convaincre par des Ecritures évangéliques et prophétiques et si on devait me réfuter à partir de la Bible, je suis prêt à tout et désireux au plus haut point de rétracter toute erreur, et d’être le premier à vouloir jeter au feu mes livres.
Du côté des représentants du Pape, on s’insurge :
- Réfuter cette doctrine diabolique ? Elle a déjà été condamnée depuis le Concile de Constance et le procès de Jean Hus l’hérétique mort sur le bûcher !
Seul face aux Puissants de ce monde, le petit moine se redresse. C’est décidé, il ne baissera les yeux devant personne. Quel qu’en soit le prix…
- Ma conscience est captive de la Parole de Dieu ; je ne peux ni ne veux me rétracter en rien, car il n'est ni sûr, ni honnête d'agir contre sa propre conscience.
On le presse :
- Abandonne ta conscience, frère Martin, car la seule attitude sans danger consiste à se soumettre à l’autorité.
La soumission ? Jamais !
- Je m’en tiens là. Je ne puis faire autrement. Que Dieu me soit en aide !

Ça me donne à penser…

Il paraît qu’il n’est pas possible de se souvenir de sa propre naissance. Moi, je prétends le contraire… C’est même, je pense, une occasion extraordinaire qu’il faut savoir saisir à sa juste valeur. Comme l’instant qui vient. Un jour — et c’est comme une naissance à soi-même ¬– j’apprends à dire « JE ». A parler en mon nom propre, à sortir de la masse informe du « ON » qui ne cherche qu’à me maintenir dans la soumission. Soumission à mon passé, à mon identité, à ma famille, à mon code génétique, à mes pulsions inconscientes, à mon milieu social, à mon ressentiment ou à mes envies… que sais-je encore ? Dire « JE », c’est faire l’expérience d’un arrachement, d’une délivrance, d’une libération. Ce que je suis n’est la propriété de personne. Il s’agit d’habiter sa propre vie.
Quitte à devoir s’opposer et dire « non » sans baisser les yeux, comme Luther. Je ne peux pas et je ne veux pas faire autrement, dit-il, parce qu’il n’est ni sûr ni honnête d’agir contre sa propre conscience. Cette prise de conscience apporte la certitude intérieure que désormais il n’est plus question de se mettre à genoux devant qui que ce soit, ni d’accepter qu’un seul être humain se mette à genoux. Personne n’est au-dessus. Personne n’est en-dessous. Contestation radicale de toutes les hiérarchies…
Ma conscience est captive de la Parole de Dieu, dit Luther. Vient-il de quitter une prison pour tomber dans une autre ? En fait, Luther comprend qu’il ne s’est pas construit pas tout seul. Il sait qu’il ne s’est pas délivré lui-même : personne ne s’échappe des sables mouvants en se tirant lui-même par les cheveux… Il sait que sa conscience lui vient d’une Parole qu’il a entendue, à qui il a fait confiance et qui l’a libéré. La question se pose de savoir à qui je fais confiance pour forger mon intime conviction. A quel système d’autorité j’accorde du crédit : ma famille ? mes amis ? la Science ? le Pape ? les réseaux sociaux ? moi-même ? C’est une question que je dois aussi me poser.
Je m’en tiens là, dit Luther. Sa conscience, née de l’expérience d’une liberté reçue comme un cadeau, lui permet de savoir où il se situe, quelle est sa place dans ce monde et pourquoi il vit… Heureux celui qui, comme Luther, peut dire « Je m’en tiens là » : il ne courbera jamais l’échine devant les puissants de ce monde.

Enjeux théologiques et idées directrices

  • « Ma conscience est captive de la Parole de Dieu ; je ne peux ni ne veux me rétracter en rien, car il n'est ni sûr, ni honnête d'agir contre sa propre conscience. Je m’en tiens là. Je ne puis faire autrement. Que Dieu me soit en aide. Amen ! »
  • La théologie de Luther a son centre dans l’expérience spirituelle du croyant vécue comme une union mystique avec le Christ, une rencontre qui justifie, sauve et libère : “Le chrétien est l’homme le plus libre; maître de toutes choses il n’est assujetti à personne. L’homme chrétien est en toutes choses le plus serviable des serviteurs; il est assujetti à tous.” (Traité de la liberté chrétienne – 1520).
  • Sûr de lui, le petit moine augustin refuse de se soumettre et s’oppose fièrement aux deux souverains les plus puissants de son époque : le pape Léon X et l’empereur du Saint Empire Romain Germanique, Charles Quint. La foi vécue comme une rencontre personnelle échappe totalement à l’emprise de l’institution et permet à l’individu d’émerger face au groupe, face à la communauté. C’est cette expérience personnelle qui offre à Luther la liberté intérieure totale face aux autorités et aux pouvoirs ressentis comme illégitimes, face aux déterminismes et au Destin.
  • Cette liberté intérieure lui permet d’ébranler complètement et de redéfinir de fond en comble le système de conviction sur lequel reposent les autorités et les pouvoirs de l’époque en retrouvant la Bible et les Pères de l’Eglise comme seule norme et seule autorité (Sola Scriptura), le salut par la foi seule (Sola Fide) sans collaboration ni œuvre possible, une nouvelle définition de l’Eglise comme communauté de baptisés (et non comme institution dispensatrice du salut) fondée sur le sacerdoce de tous les chrétiens (posant les bases d’un fonctionnement non hiérarchique de l’Eglise) et la seule autorité de la Parole de Dieu prêchée. Dans tous les cas, écrit Luther, « l’incroyance et l’hérésie sont un mal spirituel qu’on ne peut abattre avec une épée, brûler avec du feu, noyer avec de l’eau. »
  • La conscience devient ainsi le lieu de la certitude intérieure. Apprendre à dire « non » constitue une étape essentielle du développement de l’individu (idem pour les enfants) qui s’oppose pour se distinguer, marquer sa différence, poser une frontière entre le « je » et le « tu », le « mien » et le « tien ». L’identité n’est donc plus seulement dans le groupe, le clan, l’ethnie ou le « nous » mais aussi dans la naissance de soi-même (à la fois identité-ipséité et identité-mêmeté, cf. Paul Ricoeur, Soi-même comme un autre)
  • « Je m’en tiens là, je ne puis faire autrement ! » Je m’en tiens là… L’expérience de la foi permet de savoir où se situer, quelle est sa place dans ce monde et la signification de son existence…
Heureux celui qui s’en tient là : il ne courbera jamais l’échine devant les puissants de ce monde. Heureux celui qui sait où il campe : il n’aura pas besoin d’écraser les pieds des autres pour se poser. Heureux celui qui connaît sa place dans ce monde : il aura un sens à sa vie, une vocation dans ce monde déboussolé, il saura où diriger ses pas sans être une girouette.
  • « Ma conscience est captive de la Parole de Dieu » La question se pose de savoir (de discerner) à qui j’accorde ma confiance pour me forger une conviction ? Quel est le système d’autorité auquel j’accorde du crédit ? Selon Danièle Hervieu-Léger, Le pèlerin et le converti, Flammarion 1999, les « instances de validation du croire » sont au nombre de 4 : l’institution, la communauté, le charisme personnel, ou soi-même… Luther ne pose pas un individu flottant auto-fondé mais bien un individu qui reçoit sa vérité d’une rencontre existentielle et personnelle avec Dieu et qui trouve son instance de validation du croire dans la parole de l’Autre qui se reçoit dans la lecture de la Bible… C’est donc un individu en dialogue qui se construit à partir d’une rencontre existentielle (le salut par la foi !)

    Note sur St Augustin et la théorie du « Maître Intérieur »

    La thèse du De magistro : Il y a une présence de Dieu à l'intérieur de chaque âme de sorte que se tourner vers Dieu, c'est revenir en soi et contempler cette lumière intérieure : « or celui que nous consultons est celui qui enseigne, le Christ, dont il est dit qu'il habite dans l'homme intérieur ». (Du Maitre, 11, 38). Les sources de cette thèse sont Platoniciennes et Chrétiennes à la fois. De Platon, Augustin retient les théories de la réminiscence et de la maïeutique. La réminiscence affirme que le savoir est un ressouvenir, que chacun porte en son âme le savoir, la connaissance confuse des idées qu'il lui faudrait retrouver par un effort d'introspection. La maïeutique (« l'accouchement des âmes » dont Socrate s'était fait le spécialiste) en tire les conséquences pédagogiques : l'enseignant n'apporte aucun savoir extérieur qu'il déverserait dans l'âme de l'élève. Il doit se contenter de l'aider à prendre conscience du savoir qu'il porte en lui, d'où la métaphore de l'accouchement. La difficulté de cet innéisme, c'est de justifier cette présence du savoir dans l'âme et son oubli, qui serait dû pour Platon au trauma que constitue pour les âmes l'expérience de l'incarnation. Le coût métaphysique de cet innéisme, c'est l'introduction d'une eschatologie (mythe du devenir des âmes), d'une théorie de la réincarnation et le retour du mythe au cœur du logos et de la rationalité. Sa fécondité c'est sa dimension émancipatrice puisque l'enseignant n'est jamais qu'un médiateur de soi à soi et ne dispense pas un savoir dont il détiendrait le monopole. De la Bible, Augustin retient l'idée Paulinienne d'un Dieu qui loge dans « l'homme intérieur ». Cette immanence de Dieu à la conscience s'appuie sur sa nature immatérielle et son identification au Verbe de l'évangile de Jean. L'originalité d'Augustin, consiste à opérer une synthèse entre la tradition hellénistique (Platon, Plotin) et évangélique. Ainsi, est-ce le même « Maître intérieur » qui enseigne au savant les vérités mathématiques et qui manifeste sa présence par le Verbe qui touche le cœur du croyant. Foi et savoir se trouvent réconciliés, réunifiés dans une seule théorie de la présence intérieure de Dieu.

    Implications :

    Théologiques :
    Elles sont immenses ! Si chaque croyant a directement accès au Verbe divin, il peut s'en réclamer contre ceux (Eglise, tuteurs, intercesseurs) qui en revendiquent le monopôle. Et le De magistro de conclure et reprenant Matthieu 23, 10 : « n'appelez personne notre maître sur la terre, parce que le seul Maître de tous est au ciel. Mais que veut dire « au ciel », lui-même nous l'enseignera, qui nous fait donner par les hommes des signes à l'extérieur, afin que nous retournant à l'intérieur vers lui nous recevions ses leçons »... (Le Maitre14, 46). C'est sur cette doctrine que s'appuie Luther pour opposer au dogme de l'Eglise un Verbe divin auquel il a directement accès, qui s'impose à lui, parce qu'il le porte en lui comme toute conscience. J'y vois aussi l'origine du refus d'une sacralisation des fonctions ecclésiastiques, la dévaluation de l'institution au profit de l'individu qui fait de chaque croyant, comme le dit Gide de ses oncles protestants d'Uzes qui ne quittaient pas leur chapeau en entrant dans le temple des « tutoyeurs de Dieu » selon la belle expression de Si le grain ne meurt !

    Pédagogiques :
    L'enseignement n'est jamais l'apport d'un savoir extérieur à la conscience de l'enseigné. Le rapport d'autorité n'est jamais entre l'enseignant et l'enseigné mais de l'enseigné à Dieu. Là encore, il s'agit d'une dévaluation du rapport d'autorité qui lie les hommes aux institutions ou à ceux que plus tard Kant appellera les « tuteurs » dont les figures principales sont « le professeur » et « le directeur de conscience » (Réponse à la question : qu'est ce que les lumières?). C'est aussi chez St Augustin le fondement et la justification théologique du principe de l'autonomie de la conscience, qui prendra au siècle des lumières la forme sécularisée de l'autonomie rationnelle par opposition à l'autorité des dogmes et des institutions.

    Philosophiques :
    Augustin développe une sémiologie et une linguistique assez originales qui l'amène à redéfinir au passage -sans en tirer toutes les conséquences- le concept de conscience. Le langage est un ensemble de signes extérieurs qui doit nous conduire au Verbe intérieur. En d'autres termes, les mots n'ont de sens que parce qu'ils font référence à la Parole divine. Lorsqu'on dialogue, on est toujours trois car aux deux locuteurs, il faut ajouter la présence originelle du Verbe, origine primordiale et absolue du sens. Le plus intéressant, c'est que cela implique une redéfinition de la conscience. Les traditions philosophiques et religieuses parlent d'âme pour dire le principe spirituel qui définit chaque conscience. Mais le concept est assez obscur ou, a minima, trop polysémique. L'âme c'est : le principe vital dans la filiation d'Aristote (en latin, l'âme, c'est « l'anima » que nous partageons avec les plantes et les bêtes), le siège de l'intellect qui fait de nous des êtres rationnels, le principe d'identité subjective qui par la médiation de la mémoire nous particularise et nous différencie (St Augustin, Les Confessions, LX), la substance spirituelle qui fait que nous sommes « à l'image de Dieu »... A cette âme on prête des qualités métaphysiques comme l'immortalité, la substantialité...mais en vérité, c'est un concept bien obscur pour dire « l'autre du corps ». Il me semble que St Augustin dépasse d'un seul coup toutes ses définitions problématiques en définissant l'âme comme écoute, accueil, réception. La thèse du Maître intérieur consiste à dire que nous nous éveillons à la conscience -et plus radicalement que la conscience est cet éveil même qui nous arrache à l'épaisseur organique de la vie animale- en entendant le Verbe intérieur, la Parole primordiale et originelle de Dieu. Dans Les Confessions il insiste souvent sur le caractère premier de cette parole : « Car je ne dis rien de bon aux hommes que vous n'ayez ouï auparavant dans le secret de mon cœur où je parle à vous, et vous n'entendez rien de moi dans le secret de mon cœur, que vous-même ne m'ayez dit auparavant par votre Saint-Esprit qui m'instruit et qui me parle» (LX, ch. II). C'est une conception très originale et très moderne (reprise notamment par des philosophes chrétiens contemporains comme J.L Marion) où la conscience ne se définit ni comme certitude de soi (Cogito cartésien) ni comme projet ou intentionnalité (Sartre et Husserl) mais comme éveil, écoute d'une altérité radicale et première. Mais cela dépasse sans doute nos préoccupations théologiques du moment !

    Textes bibliques potentiels:

    • Matthieu, 23, 10, « Ne vous faites pas appeler Maître : car vous n'avez qu'un seul Maître et vous êtes tous frères. N'appelez personne sur la terre votre « Père » : car vous n'en avez qu'un seul, le Père céleste. Ne vous faites pas non plus appeler « Docteurs » car vous n'avez qu'un seul Docteur, le Christ ».
    • Lettre aux Ephésiens, 3, 16-17, « ...c'est dans l'homme intérieur que le Christ habite ».
    • 1 Samuel 3 « Me voici ! »
    • Jérémie 1, 4-10 « Avant que tu ne sortes de son sein, je t’avais consacré prophète pour les nations »
    • Luc 1, 26-34 « Qu’il me soit fait selon ta parole »
    • Romains 3,21 – 4,25 « Abraham crut en Dieu et cela lui fut compté comme justice »
    • Galates 4, 3-9 « Il est venu rendre la liberté à ceux qui vivent sous la loi »
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    ANNEXES

    Extrait de sermon de Martin Luther

    Luther. Sermon du 8e dimanche après la Trinité (10 août 1522), sur Mt 7, 15 s. : « Gardez-vous des faux prophètes »
    Le Christ ne parle pas seulement au pape, mais à tous […] : « Gardez-vous des faux prophètes !» Si donc je dois prendre garde et discerner la fausse doctrine, c’est à moi de juger et de dire : pape, toi ou les conciles, vous avez décidé ceci, mais il me reste à juger si je peux l’accepter ou pas. En effet, tu ne combattras pas pour moi et tu ne répondras pas pour moi lorsque je mourrai. C’est à moi qu’il incombera de savoir où j’en suis. Il faut [ nous dit la parole de Dieu] que tu sois certain qu’il s’agit de la parole de Dieu, aussi certain que du fait que tu es encore en vie et encore plus certain, afin d’y fonder ta conscience. Même si tous les hommes s’y mettaient, voir les anges, pour trancher, si tu ne peux pas décider toi-même et juger, tu es perdu. Car tu ne dois pas fonder ton jugement sur le pape ou sur les autres ; tu dois être capable de dire de ton propre chef : ceci est juste, ceci est faux. Sinon, tu ne pourras pas subsister. Car si tu voulais dire sur ton lit de mort : le pape a dit ceci, les conciles ont décidé cela, les saints pères Augustin et Jérôme ont défini ceci ou cela, le diable percera aussitôt un trou et fera irruption : et si c’était faux ? N’ont-ils pas pu se tromper ? Et te voilà à terre. C’est pourquoi tu dois être certain de pouvoir dire : ceci est la parole de Dieu, c’est sur elle que je me fonde.

    […] Eh bien ! Laisse-les décider et dire ce qu’ils veulent. Tu ne peux pas y placer ta confiance, ni donner par là la paix à ta conscience. Il s’agit de ta tête, de ta vie, c’est pourquoi Dieu doit te parler au cœur et te dire : voilà la parole de Dieu ; sinon c’est incertain. Il faut que tu en sois certain toi-même, en excluant [l’avis de] tous les autres hommes.
    (WA 10, III, p. 258, 18- 260, 10, trad. Marc Lienhard)


    Repères historiques et Extraits

    • 31 octobre 1517 : Luther (moine augustinien et professeur de théologie dans la toute nouvelle faculté de théologie de Wittenberg en Saxe électorale) fait imprimer une affiche avec ses 95 thèses « contre les indulgences » dans le but de provoquer une dispute académique. Ce moment est le fruit d’un long cheminement personnel, à la fois spirituel et théologique. C’est pour lui un moment historique qu’il choisit de marquer en changeant son nom de LUDER en LUTHER (du grec « eleutérios » c’est à dire qu’il se fait appeler « l’homme libre » ou « l’affranchi »). Le problème soulevé par Luther est celui des voies et moyens pour assurer son salut : au nom de l’universalité du péché, il refuse la nécessité de passer par l’Eglise (rites, sacrements, doctrines ou indulgences) pour obtenir son salut. Seule la reconnaissance de notre propre impuissance et incapacité nous oblige à la conversion personnelle pour ne compter que sur la seule grâce de Dieu : dans la foi, il nous offre son pardon sans qu’il soit nécessaire ni même possible de collaborer d’une quelconque manière. Seule l’union avec le Christ est capable de nous assurer de notre salut. Il y a dans ces thèses un potentiel explosif énorme parce qu’il remet en question tout le fonctionnement de l’Eglise catholique basé sur la conviction d’une médiation nécessaire de l’Eglise qui se croyait chargée de la gestion des « biens du salut »… En mars 1518, Luther publie en allemand un Sermon sur les indulgences et la grâce (qui reprend la même argumentation en direction du peuple).
    • 26 avril 1518 : Controverse de Heidelberg devant le Chapitre de sa congrégation de stricte observance de l’ordre des Ermites de St Augustin : présentation de ses thèses sur la péché et la grâce inspirées directement de Paul et de St Augustin (dans son combat antipélagien). Débat Humanisme vs Scholastique à propos de l’autorité et de la norme en théologie : l’autorité ultime n’est plus dans Aristote ou les Sentences de Pierre Lombard mais dans l’Ecriture et les Pères de l’Eglise.
    • Octobre 1518 : Interrogatoire devant Cajétan (Thomas di Vio de Gaète, théologien dominicain) le légat du pape Léon X. Cajétan identifie immédiatement l’enjeu fondamental des thèses de Luther : le principe du salut par la foi seule ruine toute l’autorité de l’Eglise (et du pape) et toute prétention à la maîtrise des biens du salut en refusant toute efficacité ex opere operato aux sacrements et aux indulgences.
    • 27 juin – 15 juillet 1519 : Dispute de Leipzig contre Jean Eck : quel est le lieu ultime de l’autorité dans l’Eglise ? le pape ? les conciles ? l’Ecriture ? Devant le refus de Luther et Karlstadt d’accorder une autorité de droit divin au pape, Eck accuse Luther d’être un disciple des hérétiques Hus et Wyclif, tous les deux condamnés par le Concile de Constance. Mais Luther reste convaincu de son élection prophétique : il aurait bien « voulu rester caché dans son coin » mais la volonté de Dieu l’a violemment poussé dans la sphère publique à cause d’un simple feuillet (les 95 thèses) destiné à une dispute théologique… Porté par la certitude de sa vocation particulière, il se sent prêt à combattre n’importe qui et accepte même d’être considéré comme un hérétique : « Je serais sans doute un mauvais Luther si je combattais en faisant confiance à la méditation des Ecritures au lieu de la foi dans le seul Dieu, qui agit complètement en moi. » Il est vraiment étonnant qu’un « seul feuillet de thèses » l’ait tiré « avec force dans l’espace public » par la volonté de Dieu WA 2, p.672, 1. 30-31 : Domini voluntate ; « Tous les articles de Jean Hus condamnés à Constance sont parfaitement chrétiens et je confesse que le pape a agi ici avec les siens comme un véritable antéchrist, condamnant le saint Evangile de Jean Hus et mettant à sa place la doctrine du plus manifeste dragon » WA 7, p. 431, 1, 25-29
    • Décembre 1519 : Sermon sur le très vénérable Corps du Christ. Comme Jean Hus, Luther revendique « pour les laïcs » une communion sous les deux espèces (position utraquiste). Il se radicalise et provoque de plus en plus (regrette le « trop d’indulgence et de douceur » de ses 95 thèses) et pose le principe du sacerdoce universel des croyants baptisés qui supprime de fait la traditionnelle distinction hiérarchique entre le clergé et les laïcs.
    • Les grands écrits réformateurs de 1520 : Très grand succès de l’appel : A la noblesse chrétienne de la nation allemande (refus de la distinction clergé-laïcs - avril 1520) Des bonnes œuvres (la justification par la foi seule ne conduit pas au libertinage - mai 1520) De la papauté de Rome (une nouvelle définition de l’Eglise comme assemblée des cœurs dans une seule foi – juin 1520) De la liberté du chrétien (rapport entre la foi comprise comme union libératrice avec le Christ et l’agir chrétien au service de tous - octobre 1520) Prélude sur la captivité babylonienne de l’Eglise (Sur la messe et les sacrements réduits à 2 et reçus comme des cadeaux de Dieu)
    • 15 juin 1520 : Bulle papale Exsurge Domine (Lève-toi Seigneur, car un renard ravage ta vigne) menace Luther d’excommunication s’il ne se rétracte pas dans les 60 jours
    • 10 décembre 1520 : (exactement 60 jours après la publication de la Bulle à Wittenberg) Luther excommunie l’Eglise du pape en brûlant la Bulle, des exemplaires du Droit Canon (bases juridiques de l’Eglise), et quelques livres scholastiques. « Parce que tu as corrompu la vérité de Dieu, que le Seigneur te livre à la corruption aujourd’hui. Donc, au feu. »
    • 3 janvier 1521 : la Bulle Decet Romanum Pontificem condamne définitivement Luther comme hérétique. Aleander, légat du pape, est envoyé à la cour de l’empereur Charles Quint pour la publication (et l’exécution) du jugement par la mise au ban de l’Empire du moine hérétique. MAIS, la constitution de l’Empire exige qu’une telle décision soit prise par l’autorité suprême de l’Empire, autrement dit par la Diète qui réunit le roi et les états impériaux. Le tout jeune empereur nouvellement élu se doit donc de respecter la Constitution s’il veut ménager les princes électeurs et éviter de provoquer des émeutes et révoltes parmi les très nombreux soutiens de Luther au sein du peuple allemand animé d’un fort ressentiment anti-romain… On assiste alors en coulisse à d’intenses tractations politiques : l’électeur de Saxe, Frédéric le Sage, y joue un rôle clé. Conseillé par son confesseur Georg Spalatin et son chancelier Gregor Brück, il choisit de prendre Luther sous son aile et use de son influence pour le faire inviter à la Diète de Worms qui s’ouvre le 27 janvier 1521 pour que le professeur de théologie de Wittenberg ait la possibilité de s’expliquer devant l’empereur (en espérant secrètement le convaincre !) : « Qu’on commence donc par veiller à ce que Luther puisse s’expliquer sur son affaire devant des savants reconnus, des juges pieux et sans préventions. Car jusqu’à présent, personne ne m’a démontré à moi (Frédéric de Saxe) que les écrits de Luther étaient à ce point nuls et non avenus qu’ils eussent mérité le bûcher. »
    • 6 mars 1521 : Charles Quint finit par délivrer la citation à comparaître de Luther devant la Diète de Worms « pour recevoir de toi des renseignements à propos des doctrines et des livres qui ont été rendus publics par toi depuis un certain temps » et garantit un sauf-conduit sûr à celui qui est déjà condamné pour hérésie… Dès le départ, il y a manifestement un grand malentendu :
      • Luther rêve d’une procédure d’arbitrage officielle devant des experts et avec des arguments bibliques irréfutables : « Par la Parole seule, le monde a été vaincu, l’Eglise a été conservée ; c’est aussi par la Parole qu’elle sera rendue forte. L’Antéchrist sera écrasé par la Parole sans qu’une seule main ne soit levée. » (lettre du 29 décembre 1520 à Spalatin) « Jusqu’à présent dans cette affaire, on s’est contenté de jouer, maintenant les choses deviennent sérieuses. (…) Manifestement les choses sont désormais dans la main de Dieu… Mon père, priez pour la Parole de Dieu et pour moi. » (Lettre du 14 janvier 1521 à Staupitz). « Selon l’enseignement de saint Paul (1 Co 5,13 : Expulsez le mauvais du milieu de vous), il est temps de blâmer, de confondre et de punir ouvertement et devant le monde entier les méchants notoires, pour que le scandale s’éloigne du Royaume de Dieu. » (lettre du 1er décembre 1521 au Cardinal Albert de Brandebourg). Pour lui, il s’agit d’un combat eschatologique contre les machinations du diable « Il entrerait à Worms même contre la volonté de toutes les portes de l’Enfer et des puissances qui sont dans les airs » (lettre du 14 avril 1521 à Spalatin). Cette conscience de combat eschatologique contre l’Antéchrist se retrouve dans le Choral Ein feste Burg ist unser Gott : « Et si le monde était plein de démons prêts à nous engloutir, Nous n’en serions pas effrayés pour autant, car nous l’emporterons. Le Prince de ce monde, si amer qu’il puisse être, Ne peut rien contre nous, car il est déjà jugé ; Un simple mot peut causer sa perte. »
      • Mais de fait, pour Charles Quint, il s’agit juste de donner à l’hérétique détesté la possibilité de se rétracter publiquement, simplement dans le but de ménager les princes qui viennent de l’élire comme empereur et le peuple allemand au bord de la révolte contre Rome. A sa manière, le jeune Habsbourg se sent lui aussi appelé à réformer l’ensemble de la chrétienté. S’il a brigué la fonction impériale après la mort de son grand-père Maximilien c’est « non pas pour son utilité personnelle » mais pour « assumer et reconstruire le Saint Empire, aussi pour accroître et relever la sainte foi, afin que ses ennemis soient ainsi plus facilement anéantis. » (message programmatique à l’ouverture de la Diète de Worms). Rassemblant sous sa souveraineté un Empire allant de l’Autriche à l’Espagne (Castille et Aragon) en passant par Naples et la Bourgogne, Charles Quint est le plus puissant souverain d’Europe. Mais il n’a pas encore reçu l’onction et le couronnement des mains du Pontifex Maximus : il se doit donc de ménager le pape Léon X. De Luther, il n’attend que la rétractation et rien d’autre.
    • Le 2 avril 1521, Luther quitte Wittenberg sur une charrette tirée par des chevaux, accompagné par toute une délégation de son Université qui lui accorde une subvention de 20 florins pour ses frais de voyage. Son voyage est un événement public : la foule enthousiaste se presse sur son passage et il est pressé de prêcher partout où il passe (malgré l’interdiction de la bulle). Mais le voyage est aussi marqué par un combat personnel terrible contre la maladie, torturé par des problèmes intestinaux qui vont le poursuivre toute sa vie… Son arrivée à Worms le 16 avril est saluée par des trompettes depuis le clocher de la cathédrale. Il est accompagné jusqu’à son pied-à-terre par une troupe de cavaliers composée de nobles saxons et par des centaines de « gens du commun » enthousiastes qui scandent son nom : « Luther ! Luther ! ».
    • Le 17 avril à 16h : Convoqué dès le lendemain de son arrivée au palais épiscopal pour y justifier sa doctrine, il entre dans la salle des débats précédé par Ulrich von Papenheim et Kaspar Sturm, le maréchal héréditaire et le héraut de l’Empire. Luther espère avoir la possibilité de disputer sur les 41 points litigieux de ses thèses… Mais il est déstabilisé quand l’official (Johannes van der Ecken, prêtre spécialiste du droit canon, juge des affaires judiciaires ecclésiastiques) de l’archevêque de Trèves lui demande simplement si les écrits (une vingtaine) placés sur la table sont de lui, et après qu’il ait acquiescé, le somme de se rétracter. Luther parle tout bas, comme tétanisé par l’enjeu ou impressionné par l’assistance, personne ne comprend ce qu’il dit quand il se déclare incapable de décider de suite à propos de la rétractation exigée, car dit-il « cette affaire concerne la parole de Dieu, qui est la plus haute réalité dans le ciel et sur terre » Il ne veut pas courir le risque de tomber sous le jugement du Christ qui « a déclaré : quiconque me renie sur terre, je le renierai devant mon Père dans le ciel et devant ses anges. » L’orateur de l’empereur va prendre conseil puis revient en lui reprochant avec insistance sa prétention à posséder seul la vérité et de créer ainsi des mouvements séditieux. Juridiquement, Luther n’a pas droit à un temps de réflexion car il aurait dû savoir qu’il était cité à comparaître pour se rétracter mais l’empereur lui accorde cependant un délai de grâce jusqu’à l’après-midi suivante à la même heure…
    • Tous ses partisans sont déçus par la prestation de Luther, même son protecteur prince électeur Fédéric de Saxe… L’empereur aurait déclaré : « ce n’est pas ce type qui va faire de moi un hérétique ». Visiblement les gens de la curie et tout particulièrement le légat Aleander sont très satisfaits et sûrs de la victoire à peu de frais… Mais de son côté Luther ne doute pas une seconde ni de sa détermination ni de son mandat divin, bien au contraire, c’est d’excellente humeur guillerette qu’il apparaît à ses visiteurs le soir-même.
    • Le lendemain, le 18 avril 1521 Luther patiente une heure dans le couloir que la Diète lui ouvre ses portes. La foule surexcitée se presse et la cohue est considérable, les esprits échauffés, et une partie de la foule réussit même à pénétrer dans la salle de réunion. L’orateur impérial von der Ecken réitère la sommation de se rétracter. Luther répond cette fois avec beaucoup d’assurance qu’il n’a pas été « élevé dans des cours princières, mais avait grandi et s’était formé dans des recoins monastiques » Si, en raison de son inexpérience de la cour et de son intérêt exclusif pour « l’honneur de Dieu et l’enseignement sans limites des chrétiens, il ne donnait pas à quelqu’un les titres qui lui revenaient », il n’y avait là aucune intention de blesser et il prier de l’excuser… Et Luther de rentrer dans le vif des explications sur l’affaire. Il déclare avec assurance reconnaître ses écrits et en assumer seul la responsabilité. :
      • Les sermons et les commentaires de la Bible pour l’assemblée chrétienne sont conformes aux Ecritures et ne sont pas incriminés par ses accusateurs. Il n’y a donc pas lieu de se rétracter à leur sujet.
      • La même chose est vraie, selon lui, de ses écrits contre la papauté, qui ne font que se faire l’écho de la plainte répandue dans le cahier de doléances de la nation allemande qu’il est prévu d’examiner par ailleurs en commission par la Diète de Worms « qu’au travers les lois du pape… les consciences chrétiennes sont… mises à mal de la façon la plus lamentable, les richesses aussi de cette nation allemande très honorable avaient été englouties et épuisées par une tyrannie incroyable »
      • Logiquement donc, la rétractation ne pourrait donc éventuellement avoir lieu que sur les livres qui « disputent de l’enseignement du Christ » Bien qu’il sût qu’il « ne pouvait se tromper, n’avait cependant pas refusé d’entendre des témoignages contre son enseignement », Luther se dit prêt à se laisser « convaincre par des Ecritures évangéliques et prophétiques » et que si on devait le réfuter à partir de la Bible, il se déclare « prêt à tout et désireux au plus haut point… de rétracter toute erreur, et d’être le premier à vouloir jeter au feu mes livres »
      • L’orateur impérial fait remarquer qu’il n’y a pas lieu de réfuter sa doctrine qui a été condamnée par les conciles et notamment celui de Constance, ayant condamné Jean Hus
      • Luther refuse par motif de conscience : « Vaincu par les Ecritures comme si j’étais mené par moi-même, ma conscience est captive de la Parole de Dieu ; je ne peux ni ne veux me rétracter en rien, car il n'est ni sûr, ni honnête d'agir contre sa propre conscience."
      • On rétorque alors à Luther : « Abandonne ta conscience, frère Martin, car la seule attitude sans danger consiste à se soumettre à l’autorité »
      • Et Luther de conclure : « Je m’en tiens là. Je ne puis faire autrement. Que Dieu me soit en aide. Amen ! »
    • Se sentant bousculé et mis au défi par Luther, Charles Quint décide de répondre personnellement. Il prépare sa propre confession de foi et la fait lire en public le lendemain devant les états impériaux : faisant la liste de tous ses prédécesseurs, empereurs chrétiens, rois catholiques d’Espagne, archiducs et ducs d’Autriche et de Bourgogne, il se place lui-même dans la lignée de ces « défenseurs de la foi catholique, des cérémonies saintes, des lois, des instructions et des usages saints – pour l’honneur de Dieu, la croissance de la foi et le salut des âmes… prêt à vivre et à mourir selon leur exemple… Je suis assuré qu’un seul religieux se trompe dans son opinion, qui s’oppose à toute la chrétienté autant durant les mille années et davantage passées que dans le présent ; selon ces vues, toute la chrétienté aurait toujours été dans l’erreur et le serait encore aujourd’hui… la noble et célèbre nation allemande… ayant par vocation par privilège et prestige unique en son genre à être défenseurs et protecteurs de la foi catholique. Je regrette d’avoir tergiversé si longtemps à sévir contre le dénommé Luther et sa fausse doctrine ; et je suis fermement décidé à ne pas l’entendre d’avantage… (mais) à procéder à son encontre comme envers un hérétique notoire. »
    • Le 25 avril 1521, Luther reçoit la décision de l’empereur qui l’informe qu’il était désormais considéré comme un ennemi de la foi catholique… ce qui lui a laissé (ce qui est très certainement intentionnel de la part de l’empereur qui veut éviter les émeutes populaires) le temps nécessaire pour être exfiltré rapidement et mis à l’abri dans la forteresse de la Wartburg près de Eisenach, où Luther restera terré pendant 9 mois sous la protection du prince électeur Frédéric de Saxe.
    • Le 26 mai 1521, l’Edit de Worms est publié. Acceptant son rôle de protecteur de l’Eglise catholique, Charles Quint décrète la mise au ban de Luther, interdisant à quiconque d’héberger, de nourrir, de cacher ou d’aider d’une quelconque manière l’hérétique et faisant obligation à chacun de se saisir de lui ou de le dénoncer pour le remettre au pouvoir impérial. La mise au ban de l’Empire s’applique également à quiconque soutient ou se réclame de Luther. Tous ses écrits doivent être brûlés et quiconque en possède ou en diffuse doit être puni…

    Notice biographique : Martin Luther (1483-1546)

    Martin Luther fonde sa théologie sur la Bible et non sur les dogmes. En se référant à l’épître de Paul aux Romains, il affirme que le salut provient de la grâce de Dieu et non des œuvres. Sa théologie est le fondement de la Réforme protestante. Elle est adoptée par les Églises luthériennes et aussi, dans ses principes, par les autres Églises protestantes.

    Le moine augustin et l'universitaire

    Martin Luther est né le 10 novembre 1483 à Eisleben, petite ville située à l’ouest de Halle (Saxe-Anhalt), dans une famille de paysans. Son père, très attaché à la promotion sociale de sa famille, était mineur dans une mine de cuivre. Luther effectue ses études à Eisenach puis à l’université d’Erfurt où il commence ses études de droit. En 1505 il est pris dans un violent orage : terrorisé par la foudre qui s’abat à côté de lui, il fait le vœu de se faire moine, s’il en échappe. Quelques jours après, il entre au couvent des moines augustins à Erfurt contre la volonté de son père et à son insu. Il prononce ses vœux en 1506 et il est ordonné prêtre en 1507. Après un séjour à Wittenberg où il devient bachelier en théologie, il entre au couvent d’Erfurt en 1509.
    En 1510, il est envoyé à Rome avec un frère à propos d’une querelle interne aux couvents augustins. Il est peut-être choqué par le manque de recueillement des prêtres et par le luxe de la vie des cardinaux. En tout cas, il commence à avoir des doutes sur l’efficacité des prières en faveur des âmes du purgatoire.
    En 1512, il est sous-prieur à Wittenberg et prépare un doctorat en théologie qu’il obtient l’année suivante : il donne alors des cours de théologie à l’université sur les psaumes et les épîtres aux Romains, aux Galates et aux Hébreux.
    En 1513, il devient professeur et en 1515, il est nommé vicaire des Augustins en Allemagne. Cette même année, dans son Cours sur l’épître aux Romains, Luther exprime sa thèse selon laquelle l’homme est à la fois juste et pécheur.
    Luther quitte les Augustins en 1525, peu de temps avant son mariage.

    L'affichage des 95 thèses contre les indulgences

    En 1515, le pape Léon X renouvelle l’indulgence plénière que son prédécesseur Jules II avait promulguée pour financer la construction de la basilique Saint-Pierre de Rome. En 1516, le dominicain Tetzel est chargé d’une campagne de vente d’indulgences en Allemagne : rémissions des péchés et des peines temporelles sans repentir ni confession pour les vivants, limitation du séjour au purgatoire pour les morts, contre le versement d’une somme d’argent. Cette démarche est contestée, notamment par le prince électeur de Saxe, Frédéric le Sage, qui n’autorise pas la vente des indulgences sur son territoire. Luther va plus loin dans la réprobation avec les 95 thèses qu’il placarde lui-même le 30 septembre 1517 sur la porte de l’église du château de Wittenberg. Outre une violente critique des indulgences, contre lesquelles d’autres s’étaient déjà élevés, Luther refuse la théologie des œuvres : le pécheur n’est pas pardonné en raison de ses œuvres. Tourmenté par la justice de Dieu qui punit le pécheur, Luther réalise que l’homme est justifié (rendu juste) par la foi qui est un don de Dieu. C’est la révélation que décrit Luther dans l’expérience de la Tour, dont ni la date (entre 1512 et 1519) ni le lieu ne sont connus.

    La rupture avec Rome

    Les thèses de Luther sont attaquées par Jean Eck, vice-chancelier de l’université d’Ingolstadt. Le pape Léon X charge le général des Augustins de ramener Luther à la raison. Luther est sommé de comparaître à Rome mais Frédéric le Sage demande et obtient qu’il soit jugé en Allemagne. Le pape mandate le dominicain Cajetan pour entendre Luther à Augsbourg devant la diète. Après la séance, tenue en octobre 1518, Luther rédige un appel Du pape mal informé au pape mieux informé et quitte la ville en secret mais le pape répond par la bulle Cum postquam qui réfute les idées de Luther et demande à Frédéric le Sage de livrer Luther. Le prince électeur interdit à Luther de quitter l’Allemagne. La mort de l’empereur Maximilien en janvier 1519 donne plus d’autorité à sa décision, en effet la charge impériale étant élective, le petit-fils de Maximilien, Charles Ier d’Espagne, le futur empereur Charles Quint, avait besoin du soutien de l’électeur de Saxe pour l’emporter sur l’autre candidat, François Ier.
    Mais la polémique reprend. Au cours d’une confrontation à Leipzig avec Jean Eck, Luther affirme que la Bible est la seule autorité. En réponse à son traité Sur la papauté de Rome, la bulle Exsurge Domine du 15 juin 1520 somme Luther de se rétracter. Celui-ci jette la bulle au feu.

    La diète de Worms

    Alors que les idées de Luther commençaient à se répandre en Allemagne et hors d’Allemagne, la bulle Decet romanum pontificem du 3 janvier 1521 excommunie Luther et ses partisans. Malgré les demandes pressantes du nonce, Charles Quint refuse de livrer Luther à Rome mais le convoque en sa présence à la diète de Worms, muni d’un sauf-conduit. En avril 1521, devant la diète, Luther refuse de désavouer ses écrits : « Je ne puis ni ne veux rien rétracter car il n’est ni sûr ni salutaire d’agir contre sa conscience ». Charles Quint est furieux mais laisse Luther repartir. Pourtant, un mois plus tard, il le met au ban de l’empire. Frédéric le Sage, qui avait des sympathies pour Luther, le fait alors enlever pour le mettre à l’abri dans son château de la Wartburg, près d’Eisenach, où Luther passe près d’un an, de mai 1521 à mars 1522. C’est pour Luther une période d’intense activité avec de nombreux écrits sur la vie religieuse et la vie conjugale et surtout la traduction du Nouveau Testament en allemand.

    Vers l'Église évangélique

    Luther s’inquiète des profondes transformations de la messe voulues par Carlstadt. Celui-ci était un réformateur radical qui avait lui aussi, un peu avant Luther, affiché des thèses et pris la tête du mouvement de Réforme pendant que Luther était retenu au château de la Wartburg. Malgré les consignes de prudence de Frédéric le Sage, Luther retourne à Wittenberg et se met à prêcher avec son habit de moine.
    Ne voulant pas heurter les consciences, il introduit graduellement des changements dans la messe. Dans un premier temps il maintient le latin pendant l’office et garde les vêtements liturgiques puis il introduit l’allemand, notamment pour la prédication. Mais Luther tient à retirer à l’eucharistie son caractère de sacrifice. Les fidèles participent par le chant.
    En 1523, dans De l’autorité temporelle et des limites de l’obéissance qu’on lui doit, Luther développe la théorie des deux règnes selon laquelle le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel sont complémentaires sans s’exclure : l’un s’adresse aux hommes pieux tandis que l’autre a pour rôle de mater les méchants. Cette distinction, qui écarte la théocratie, convient aux princes allemands attirés par la Réforme.
    Le message de Luther trouve aussi un écho favorable dans les villes libres.

    L'appel à la noblesse et la révolte des nobles allemands

    L’appel de Luther A la noblesse de la nation allemande paru en 1520 et qui traitait des pouvoirs temporels et de l’Église avait suscité des espoirs chez certains nobles qui voulaient s’émanciper de l’empereur, des princes ou des villes libres. Ils pensent trouver un allié en Luther. En 1522 éclate une révolte de nobles allemands qui envahissent les terres de l’évêque de Trèves. Luther, ne voulant pas imposer la Réforme par la force, ne soutient pas la révolte.

    La révolte des paysans

    En 1524, des paysans se révoltent en Allemagne du Sud, revendiquant la réduction des impôts et du servage et la souveraineté des Écritures. Ils sont poussés à l’insurrection par Thomas Müntzer, un ancien moine partisan d’une réforme radicale. Face à cette guerre des paysans, Luther appelle à la paix dans son Exhortation à la paix à propos des douze articles de la paysannerie souabe, il dénonce les faux prophètes qui trompent le peuple et condamne la révolte qui ensanglante le centre et le sud de l’Allemagne. Il la traite d’œuvre du diable, alors même qu’il avait été accusé de l’avoir allumée par ses idées. Les paysans révoltés sont battus, la répression est terrible, Müntzer est décapité.

    La première diète de Spire

    En 1525, François 1er avait été vaincu et fait prisonnier à Pavie. Libéré en 1526, il constitue avec l’Angleterre, Florence, Venise, Milan et le pape Clément VII la Ligue de Cognac contre l’Espagne, ce qui affaiblit Charles Quint. Celui-ci doit alors faire des concessions dans l’empire : son frère Ferdinand, qui le représente à la diète de Spire en 1526, accepte la suspension provisoire de la mise au ban de l’empire pour Luther, tandis que les princes obtiennent la liberté religieuse dans leurs états.
    Ainsi la nouvelle Église évangélique pouvait s’organiser.

    L'organisation de l'Église

    Sur les territoires des princes et des villes ayant adopté les idées luthériennes, il convenait de visiter les paroisses, qui ne dépendaient plus des évêques, pour veiller aux bonnes mœurs des pasteurs et à l’orthodoxie de leur doctrine et s’assurer de la contribution financière des fidèles. Dès 1524, Jean-Frédéric de Saxe, régent de Thuringe veut désigner des visiteurs. Luther refuse d’abord puis finit par accepter que le prince ou le magistrat municipal désigne une commission d’inspecteurs ecclésiastiques composée de théologiens et d’hommes de loi pour inspecter la vie des communautés de la nouvelle Église évangélique.
    Les visites des paroisses révèlent le besoin de l’énoncé d’une doctrine pour préciser la foi. Luther rédige alors deux ouvrages pédagogiques : le Catéchisme allemand ou Grand Catéchisme puis le Petit Catéchisme à l’usage des pasteurs et des prédicateurs peu instruits.
    C’est aussi l’époque d’une controverse entre Luther et Érasme qui avait pris position contre la Réforme dans son traité Du libre arbitre (1525).

    La seconde diète de Spire

    Après le sac de Rome de 1527 par ses troupes mutinées et devant les perspectives de paix avec la France, Charles Quint convoque en avril 1529 une seconde diète à Spire avec une majorité de catholiques. Il veut revenir à l’édit de Worms qui avait banni Luther. La minorité acquise à la Réforme « proteste » en affirmant qu’elle ne consentirait à aucun acte ou arrêt contraire à Dieu, à sa Sainte Parole, au salut des âmes et à la bonne conscience. De là vient le nom de « protestant ».

    Le colloque de Marbourg

    Dans l’empire, cinq princes et quatorze villes libres, dont Strasbourg, ont adopté la Réforme. Vienne est assiégée par les Turcs de Soliman le Magnifique en 1529. Luther est, comme le prince électeur de Saxe, Jean le Constant, très attaché à l’empire. Il ne souhaitait pas une union politique protestante mais la recherche d’une unité doctrinale lui paraissait utile : c’est l’objet du colloque de Marbourg en octobre 1529 qui aboutit à une déclaration commune mais laisse subsister des avis divergents sur l’eucharistie. Luther reste attaché à l’idée de la présence réelle, et pas seulement symbolique, du Christ dans le pain et le vin de la communion. En cela il est opposé à d’autres réformateurs, dont Ulrich Zwingli.

    La Confession d'Augsbourg

    Durant l’été 1530, Charles Quint convoque une diète à Augsbourg pour tenter une conciliation entre catholiques et protestants au sein de l’empire. Luther se fait représenter par Melanchthon (1497-1560) qui soutient une confession de foi, inspirée des idées de Luther et connue sous le nom de Confession d’Augsbourg ; celle-ci affirme le caractère universel de la foi luthérienne. L’empereur n’accepte pas la Confession et demande aux protestants de revenir au catholicisme. Luther demande alors à Melanchthon de composer une apologie de la Confession d’Augsbourg. Charles Quint mécontent remet en vigueur l’édit de Worms contre Luther et somme les protestants de se soumettre avant le 15 avril 1531. Les électeurs de Hesse et de Saxe refusent et constituent la Ligue de Smarkalde. L’empereur accepte la trêve de Nuremberg en juillet 1532.
    L’unité doctrinale de la Réforme dans l’empire est à nouveau évoquée en 1536 lors du colloque de Wittenberg auquel participent Luther, Melanchthon, Bucer et Capiton : la Concorde de Wittenberg admet que le corps et le sang du Christ sont réellement présents dans le pain et le vin de la communion. Le courant réformé de Zwingli n’est pas représenté.
    En 1537, Luther rédige des thèses doctrinales, dites Articles de Smalkalde, pour préparer la position de la Réforme dans la perspective d’un concile qui ne s’ouvrira à Trente que huit ans plus tard en 1545.

    L'homme

    Le 13 juin 1525, Luther épouse Catherine Bora, une ancienne moniale, avec laquelle il aura six enfants.
    Pendant les dernières années de sa vie il s’en prend violemment aux Turcs, aux papistes et aux juifs. Au cours d’une vie mouvementée et pleines de périls, avec des périodes de confiance puis d’angoisse et même de dépression, Luther a pris progressivement conscience de sa mission. D’abord contestataire et condamné pour hérésie, il a ensuite pris le parti des princes dans la guerre des paysans et a fondé les principes d’organisation d’une Église renouvelée. Universitaire brillant, théologien, prédicateur, écrivain, il est doué pour s’exprimer dans un langage simple, en latin ou en allemand. Il a laissé une œuvre écrite considérable avec plus de 600 titres, tous au service de son message religieux. Musicien, il a composé une série de 36 cantiques en langue allemande pour être chantés par l’assemblée des fidèles, ce qui a contribué à développer la musique allemande. Le plus connu de ses hymnes est C’est un rempart que notre Dieu (Ein feste Burg ist unser Gott). Il meurt le 18 février 1546 à Eisleben, sa ville natale, alors que la Réforme protestante était lancée avec un profond renouvellement de la spiritualité.

    Sources

    • Thomas Kaufmann, Histoire de la Réformation, Genève : Labor et Fides, 2014.
    • Heinz Schilling, Martin Luther. Biographie, Paris : Salvator, 2014.
    • Danièle Hervieu-Léger, Le pèlerin et le converti, la religion en mouvement, Paris : Flammarion, 1999
    • Paul Ricoeur, Soi-même comme un autre, Paris : Seuil, 1990.
    • http://www.museeprotestant.org/notice/martin-luther-1483-1546/
    • Saint Augustin, Le maître, 2ème partie, Desclée de Brouwer, 1976
    • Saint Augustin, Les confessions,
      • L VII, 10,16, (accès à Dieu par l'intériorité), GF,
      • LX, ch. 2 (la confession comme réponse à la parole originelle de Dieu)

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